CITATIONS SUR LE THÉÂTRE

PHRASES CÉLÈBRES, PENSÉES, DICTONS, APHORISMES, MAXIMES

Journée Mondiale du Théâtre - 27 Mars 2016

"Avons-nous besoin du Théâtre? Telle est la question que se pose des milliers de professionnels du Théâtre déçus, ainsi que des millions lassés de celui-ci. Pourquoi en avons-nous besoin? De nos jours, en comparaison avec les villes et les Etats où les tragédies de la vie réelle sont jouées chaque jour, la scène est devenue insignifiante. Qu’est-ce que le Théâtre pour nous? Les galeries et balcons plaqué-or des salles, les fauteuils en velours, les voix bien polies des acteurs, ou au contraire, quelque chose de différent: Des «black box», remplies de boue et de sang avec un tas de corps nus enragés à l’intérieur. Qu’est-il en mesure de nous dire? Tout! Le Théâtre peut tout nous dire. Comment les dieux demeurent au paradis, la façon dont les prisonniers croupissent dans des grottes oubliées sous terre, comment la passion peut nous pousser vers le haut, comment l’amour peut détruire, comment personne n'a besoin de quelqu'un bienveillant dans ce monde, comment règne la déception, comment certaines personnes habitent dans des appartements alors que des enfants se fanent dans des camps de réfugier, comment doivent-ils tous retourner dans le désert, et comment, jour après jour, nous sommes forcés de se séparer de nos bien-aimés, - Le Théâtre peut tout nous dire. Le Théâtre a toujours été présent et le restera éternellement. Et depuis les 50 à 70 dernières années, il est particulièrement nécessaire. En effet, si vous jetez un œil parmi tous les arts publics, nous pouvons constater que seul le Théâtre nous transmet : un mot de bouche en bouche, un regard d'un œil à un autre, un geste de main en main, et de corps en corps. Le Théâtre n’a pas besoin d’intermédiaire pour travailler avec les êtres humains. Il constitue la partie la plus transparente de la lumière, il n'appartient ni au sud, ni au nord, ni a l'est ou a l'ouest - oh non, il est l'essence même de la lumière, brillant des quatre coins du monde, immédiatement reconnaissable par toute personne, qu'elle soit hostile ou amicale envers lui. Et nous avons besoin de Théâtre qui soit différent, sous toutes les formes. Pourtant, je pense que, parmi toutes les formes de Théâtre possibles, ses formes archaïques vont maintenant se révéler la principale demande. Le Théâtre sous ses formes rituelles ne doit pas être opposé artificiellement à celle des nations «civilisées». La culture laïque est maintenant de plus en plus émasculée, et ce que l'on appelle «l'information culturelle» remplace et évince progressivement les entités simples, ainsi que notre espoir de finalement les rencontrer un jour. Mais je vois plus clairement aujourd’hui: Le Théâtre ouvre largement ses portes. Entrée gratuite pour tous. Au diable les gadgets et les ordinateurs - Allez au théâtre! Occupez les rangs entiers des stands et galeries, écoutez et regardez les images vivantes! – Le Théâtre est à porté de main, ne le négligez pas et ne manquez pas la chance d'y participer - peut-être la chance la plus précieuse que nous partageons dans nos vies vaines et pressés. Nous avons besoin de toutes les formes de Théâtre. Seule une forme de Théâtre n’est surement pas nécessaire pour tout le monde – Le Théâtre des jeux politiques, un théâtre de “souricière” politique, un théâtre de politiciens, un théâtre futile de politique. Ce que nous n’avons certainement pas besoin est un théâtre de la terreur quotidienne. - Que ce soit individuellement ou collectivement, ce dont nous n’avons pas besoin est le théâtre de cadavres et de sang dans les rues et sur les places publiques, dans les capitales ou dans les provinces, un théâtre hypocrite d’affrontements entre les religions où entre des groupes ethniques…" - Anatoli Vassiliev

"Dès qu'il y a société humaine, l'Esprit irrépressible de la Représentation se manifeste. Sous les arbres dans les petits villages, et sur les scènes sophistiquées de grandes métropoles; dans les halls d'écoles, les champs, les temples; dans les quartiers pauvres, les places publiques, dans les centres de loisirs et les sous-sols de cités, les gens se regroupent pour communier dans les mondes théâtraux éphémères que nous créons pour exprimer notre complexité humaine, notre diversité, notre vulnérabilité, en chair et en os, en souffle, en voix. Nous nous rassemblons pour pleurer et se souvenir; pour rire et contempler; pour apprendre, affirmer et imaginer. Pour s'émerveiller face à la dextérité technique, et pour incarner les dieux. Pour avoir le souffle coupé face à notre capacité pour la beauté, la compassion et la monstruosité. Nous venons pour l'énergie et le pouvoir. Pour célébrer la richesse de nos différentes cultures et pour dissoudre les frontières qui nous divisent. Dès qu'il y a société humaine, l'Esprit irrépressible de la Représentation se manifeste. Né de la communauté, il porte les masques et les costumes de nos diverses traditions. Il exploite nos langages, nos rythmes, nos gestes, et ouvre un espace entre nous. Et nous, artistes ouvrant avec cet esprit ancien, nous nous sentons forcés à le canaliser à travers nos cours, nos idées et nos corps pour révéler nos réalités dans toute leur mondanité et leur mystère étincelant. Mais, à une époque où tant de millions de gens se battent pour survivre, souffrent de régimes oppressifs et d'un capitalisme prédateur, fuient le conflit et les épreuves ; où notre vie privée est envahie par les services secrets et nos mots censurés par des gouvernements intrusifs; où les forêts sont anéanties, les espèces exterminées, et les océans empoisonnés : que nous sentons-nous obligés de révéler? Dans ce monde de pouvoirs inégaux, dans lequel de différents ordres hégémoniques essaient de nous convaincre qu'une nation, une race, un genre, une préférence sexuelle, une religion, une idéologie, un cadre culturel est supérieur à tous les autres, peut-on réellement défendre l'idée que les arts devraient être séparés de l'agenda social? Nous, artistes des arènes et des scènes, nous conformons-nous aux demandes aseptisées du marché, ou saisissons-nous le pouvoir que nous avons: pour ouvrir un espace dans les cours et les esprits de la société, rassembler les gens autour de nous, inspirer, émerveiller et informer, et créer un monde d'espoir et de coopérations sincères?" - Brett Bailey

"Le pouvoir a naguère voué les comédiens à l’intolérance et les a chassés hors de leur pays. Les acteurs et les troupes peinent aujourd'hui à trouver places, théâtres et public; tout cela à cause de la crise. Les gouvernants n’ont donc plus à se préoccuper de contrôler ceux qui s’expriment avec ironie et sarcasme, car les acteurs n’ont plus ni espaces, ni parterres à qui s’adresser.Au contraire, pendant la Renaissance en Italie, les dirigeants avaient beaucoup de mal à maîtriser les comédiens, qui jouissaient d’un public très large. On sait que le grand exode des comédiens advint au siècle de la Contre-Réforme, qui décréta le démantèlement de tous les espaces théâtraux, en particulier à Rome, où on les accusait d’outrage à la ville sainte. Le Pape Innocent XII, sous la pression de la frange la plus conservatrice de la bourgeoisie et des hauts représentants du clergé, avait ordonné, en 1697, la fermeture du théâtre de Tordinona, sur la scène duquel avaient eu lieu, selon les moralistes, le plus grand nombre de spectacles obscènes. Du temps de la Contre-Réforme, le cardinal Charles Borromée, en fonction dans le nord de l’Italie, se consacra de façon prolifique à la rédemption des « enfants milanais », établissant une distinction nette entre l’art, forme la plus haute d’éducation spirituelle, et le théâtre, expression du profane et de la vanité. Dans une lettre adressée à ses collaborateurs, que je cite de mémoire, il s’exprime plus ou moins en ces termes : « Nous qui sommes résolus à extirper la plante maligne, nous avons tâché, en jetant au feu les textes aux discours infâmes, de les extirper de la mémoire des hommes, et de poursuivre aussi ceux qui ont divulgué ces textes en les imprimant. Mais, évidemment, pendant que nous dormions, le démon œuvrait avec une nouvelle ruse. Combien l’âme est plus imprégnée par ce que les yeux voient, que par ce que l’on peut lire dans les livresde ce genre! Combien le mot, dit avec la voix et le geste approprié, blesse plus gravement les esprits des adolescents et des jeunes filles, que la parole morte imprimée sur les livres. Il est donc urgent de chasser de nos villes les gens de théâtre comme on le fait déjà pour les esprits indésirables”. Ainsi, la seule solution à la crise réside dans l’espoir d’une grande chasse aux sorcières contre nous, et surtout contre les jeunes qui veulent apprendre l’art du théâtre: ainsi naîtra une nouvelle diaspora de comédiens, qui tirera sans doute de cette contrainte des bénéfices inimaginables pour une nouvelle représentation" - Dario Fo

"Lorsque, en 1959, l'Institut International du Théâtre me fit l'honneur et la joie de m'inviter à participer à son congrès à Helsinki, je représentai le Théâtre nouveau, moins nouveau maintenant, que l'on appelait alors le Théâtre d'avant-garde. Mon message se terminait par la conclusion suivante: l'avant-garde, c'est la liberté. Cette définition ou cette proclamation fut considérée par la majorité des représentants de tous les pays, à l'ouest comme à l'est, subversive, dangereuse. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Encore cantonnés à l'époque soit dans le réalisme bourgeois, soit dans le réalisme plus ou moins socialiste, les hommes de théâtre avaient peur de l'imagination. Les réalismes continuent de subsister dans le théâtre de boulevard ou dans le théâtre idéologique, mais tout ce qui s'est fait de nouveau, d'intéressant, depuis plus de quinze ans, tout ce qui est vivant, dépasse les réalismes et les contraintes. Nous nous sommes élevés souvent contre le réalisme pour la simple raison que la réalité n'est pas réaliste et que le réalisme est une école, un style, une convention comme tant d'autres et qu'il est devenu académisme, c'est-à-dire mort. Nous nous sommes élevés également contre le théâtre idéologique parce que le théâtre idéologique est lui-même contraire, prison, prisonnier de thèses, doctrines, postulats que l'auteur de théâtre est empêché de remettre en question. La vérité est dans l'imaginaire. Le théâtre d'imagination est un théâtre de la vérité authentique, authentiquement documentaire. Le document n'est jamais libre pour la simple raison qu'il est aprioriquement orienté. L'imagination ne peut mentir. Elle est révélatrice de notre psychologie, de nos angoisses permanentes ou actuelles, des préoccupations de l'homme de toujours et d'aujourd'hui, des profondeurs de l'âme. Un homme qui ne rêve pas est un homme malade. La fonction du rêve est indispensable, la fonction imaginative est également indispensable. Un artiste à qui l'on veut enlever la liberté imaginative, c'est-à-dire la liberté de l'esprit, est un homme aliéné. Les grands révolutionnaires ou leurs précurseurs ont été des rêveurs - je veux dire des utopistes. Mais lorsque l'utopie devient Etat, obligation, loi, elle est cauchemar. Le rêve, disait un grand psychologue, est un drame dont nous sommes à la fois l'auteur, l'acteur et le spectateur. Le théâtre est une construction de l'imagination en liberté. Chacun de nous a besoin d'inventer. C'est pour la joie d'inventer que moi-même j'ai écrit des pièces de théâtre. Imaginer, inventer n'est pas une activité aristocratique. Nous sommes tous des artistes en puissance. Le théâtre populaire engagé, orienté, dirigé, dicté par les représentants de l'Etat, par les politiciens, n'est pas un théâtre populaire, mais un théâtre concentrationnaire, impopulaire. Le théâtre populaire, c'est le théâtre d'imagination, le véritable théâtre libre. Les idéologues de la politique ont voulu faire main basse sur le théâtre et l'utiliser à leur profit comme un instrument. Mais l'art n'est pas ou ne doit pas être l'affaire de l'Etat. C'est un péché contre l'esprit que d'entraver la spontanéité créatrice. L'Etat n'est qu'une superstructure artificielle de la société. L'Etat n'est pas la société, mais les hommes politiques veulent utiliser, contrôler la création dramatique pour leur propagande. Le théâtre peut en effet être un des instruments rêvés de toute propagande, de ce que l'on appelle " éducation politique ", c'est-à-dire de détournements et de bourrage de crâne. Les hommes politiques ne doivent être que les serviteurs de l'art et de l'art dramatique tout particulièrement. Ils ne doivent pas en être les dirigeants, et surtout pas les censeurs. Tout leur travail doit consister à permettre le libre développement de l'art et de l'art dramatique tout spécialement. Mais l'imagination leur fait peur. Dans certains pays, nous voyons donc sévir les censures du gouvernement. Malheur aux gouvernements qui ont peur de l'opposition. C'est qu'ils ne sont pas sûrs d'eux. Dans d'autres pays, en Occident notamment, certains gouvernements sont plus libéraux que l'opposition. Et c'est l'opposition qui exerce la censure. Les représentants de ce genre d'opposition ont le goût du pouvoir, la passion de la dictature, de la mise au pas. Ils exercent une véritable pression morale, un chantage idéologique et moral. Ils sont souvent, ces maîtres à penser, plus étroits, plus intolérants que leurs gouvernements, si bien que les artistes de ces pays sont acculés à l'autocensure. Malheur aux oppositions qui ont peur des anti-oppositions et malheureux sont les artistes qui, au nom des idéologies soi-disant révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, empêchent la libération créatrice, le libre développement de l'imagination. Rien n'empêche le citoyen de s'engager politiquement comme il veut. Mais en tant qu'artiste qui remet tout en question, il doit être libre. C'est pour cela que la tâche urgente des artistes et auteurs dramatiques de tous les pays est de dépolitiser le théâtre, ou plutôt de ne pas tenir compte soit de l'Etat, soit des maîtres à penser qui veulent les engager. L'art, dit-on, n'a pas de frontières. Le théâtre ne doit pas en avoir. Au-delà des divergences idéologiques, castes, races, nationalismes, patries particulières, il doit être la patrie universelle, le lieu de rencontre de tous les hommes qui communient dans la même angoisse et les mêmes espérances que révèle l'imagination, non pas arbitraire, ni réaliste, mais expression de notre identité, de notre continuité, de notre unité. Pas de consignes pour les créateurs! Pas d'instructions à recevoir des gouvernements! "" - Eugène Ionesco, Message pour la Journée Mondiale du Théâtre 1976

"Il est faux que la télévision, le film, les magnétoscopes et d'autres produits modernes mettraient en question l'importance du théâtre. Je dirais qu'au contraire, c'est le théâtre qui permet de dévoiler mieux que toute autre expression, et d'une façon insistante, tout ce qui est sombre et menaçant, de même que tout ce qui est lumineux et porteur d'espoir. Car dans la civilisation déshumanisante et technique d'aujourd'hui, le théâtre est un des îlots importants de l'authenticité humaine. Il est précisément, si ce monde ne doit pas mal finir, ce qu'il faut absolument défendre et cultiver. Après tout, le retour d'une subjectivité humaine irremplaçable, d'une personnalité humaine concrète, de la conscience humaine concrète est ce dont ce monde de méga-machines et de méga-bureaucraties anonymes a besoin. Seul l'homme, avec sa responsabilité renouvelée et sa conscience des concordances peut faire face aux dangers qui menacent le monde et aucun réseau d'ordinateurs, les plus sophistiqués soient-ils, ne peut se substituer à lui. L'espoir du monde repose sur la réhabilitation de l'être humain. Le théâtre, il est vrai, n'est pas seulement une forme d'expression parmi d'autres. Il est la seule expression où l'homme s'adresse à un autre homme, chaque jour, maintenant et sans arrêt. Grâce à cela le théâtre n'est pas uniquement un lieu où l'on raconte des histoires. Il est un lieu de rencontres entre les hommes, un espace d'une existence humaine authentique qui se dépasse pour témoigner sur le monde, sur elle-même ; il est un lieu de dialogue vivant, unique et inimitable qui parle de la société et de ses tragédies, de l'homme, de son amour, de son mal et de sa haine. Le théâtre est un foyer spirituel de la communauté humaine, le point de cristallisation de sa vie spirituelle, c'est un espace de sa liberté et de son consentement. Dans la civilisation technique globale, formée par tant de cultures particulières et menacées par ses conflits, le théâtre est – je le crois fermement – le bâtisseur de l'espoir et une loupe par laquelle on entrevoit l'avenir. Pas parce qu'il montrerait le monde meilleur qu'il n'est en réalité mais parce qu'il rend l'espoir d'assister à la renaissance de l'humanité. Car si le théâtre est le lieu de communication libre entre les hommes libres sur le mystère du monde, il montre la voie qui mène à la tolérance, au respect mutuel, au respect du miracle de l'être." - Vaclav Havel

"Il arrive, par le privilège théâtral, ce paradoxe que l'histoire qui se déforme à la longue et que le mythe qui, à la longue, se fortifie, trouvent leur véritable réalité sur les planches. Il serait sans doute avantageux qu'un fakir vint hypnotiser une salle de théâtre pour la convaincre d'avoir vu un spectacle sublime, mais, hélas, ce fakir n'existe pas et c'est au dramaturge de provoquer, par ses moyens modestes, l'hypnose collective et de faire partager son rêve, car le sommeil et le songe mettent une sorte de génie à la portée de toutes les âmes. Mais, sans aller si loin, ce phénomène a lieu et il arrive qu'un bloc de spectateurs se désindividualise au bénéfice d'une pensée étrangère qu'il adopte et avec laquelle il collabore. Ce bloc devenant une seule personne d'âme presque enfantine, car le meilleur public est encore celui des marionnettes et le nôtre serait du même ordre s'il parvenait à perdre sa résistance orgueilleuse et se trouvait en état de crier, par exemple, à Œdipe: “N'épouse pas Jocaste, c'est ta mère!” La véritable admiration n'est pas celle qui s'exprime par une rencontre d'idées communes. Elle est au contraire le partage d'idées qui ne sont pas les nôtres au point de nous laisser entendre que nous pourrions en être l'auteur. C'est donc une forme de l'amour, car dans l'amour, des antagonismes s'épousent. Même la France, rétive à se laisser endormir et qui résiste, à force d'individualisme, au phénomène d'hypnose du spectacle, vient de prouver, au Théâtre des Nations, sa soif et sa faim de se distraire sans la moindre frivolité. Des troupes du monde entier parviennent à charmer, avec leur répertoire, des publics qu'on s'imaginait incapables d'oublier leur propre idiome et leurs propres intrigues pour s'intéresser à ceux des autres La journée mondiale du théâtre marquera l'événement de ces noces profondes où le singulier et le pluriel, l'objectif et le subjectif, le conscient et l'inconscient, présentent les monstres prestigieux qui en résultent. Bien des discordes naissent de l'éloignement des esprits et du mur des langues que le vaste appareil théâtral se propose de traverser. Les peuples, grâce aux journées mondiales du théâtre, prendront enfin conscience de leurs richesses respectives et collaboreront à une haute entreprise de paix. Nietzsche disait: "Les idées qui changent la face du monde viennent sur des pattes de colombes". Peut-être est-ce par un moyen qui fut trop souvent limité au simple prétexte de plaire que la jeunesse bénéficiera d'une Sorbonne brillante et vivante, de dialogues en chair et en os, alors que les fatigues de l'étude faisaient perdre aux chefs-d’œuvre leur violence d'origine et les affaiblissaient. J'ajoute: la machine aurait, parait-il, porté le coup de grâce au théâtre. Je n'en crois rien, et, puisque l'Institut International du Théâtre me charge de prendre la parole en son nom, je déclare, comme on le déclarait jadis pour nos rois (en variant un peu la formule): "si le théâtre est mort, vive le théâtre!" - Jean Cocteau, Message pour la Journée Mondiale du Théâtre 1962

"Je pense que le Théâtre ne cessera jamais d’exister. Je pense, bien que cela puisse paraître absurde, que cet Art très ancien, est aussi l’Art de l’avenir. Non seulement parce que c’est le souhait de ceux qui font le Théâtre: auteurs, acteurs, metteurs en scène et autres artisans de la représentation théâtrale, mais parce que, vous, spectateurs et public, vous en exprimerez toujours l’exigence. Quel est le fondement d’une telle prévision optimiste pour l’avenir du théâtre? La conscience que le Théâtre est un besoin de l’âme, un besoin que l’homme ne pourra jamais abolir. Je vous invite à penser maintenant, tous ensemble, à différentes choses, qui d’une certaine façon – justifient mes paroles précédentes: cela paraît dorénavant une vieille histoire que l’homme a pu marcher sur la lune! Cela ne nous impressionne plus qu’une navette spatiale puisse toucher la planète Mars d’où elle rapporte des échantillons de son sol! La construction d’un énorme vaisseau spatial qui pourra même emmener les touristes de l’espace, ainsi que des jeunes mariés pour leur voyage de noces, est déjà commencée! C’est déjà la routine, quand plusieurs navettes spatiales explorent les planètes, les plus éloignées de notre système solaire et nous en envoient des photos! Cependant à cette époque de conquête de l’espace, nous continuons d’aller au théâtre nous confronter à un autre espace qui, lui, existe depuis de nombreux siècles, et où le calcul du temps à partir d’un cadran solaire était déjà considéré comme un miracle technologique. La relation intemporelle entre le Théâtre et l’homme est une relation éternelle. Car si le Théâtre a évolué en tant que phénomène social, il a d’abord débuté comme un phénomène naturel dès lors que l’homme primitif a commencé de mémoriser sa propre vie et de la représenter avec l’aide de son imagination, de prédire ses actions et d’imaginer leur réalisation. La première troupe et les premières représentations théâtrales se forment dans l’esprit de l’homme. C’est une faculté et un besoin, innés à l’homme de susciter des représentations. Avez-vous conscience que chacun de nous, sans exception, dispose d’un théâtre personnel, privé, dans lequel nous-mêmes, sommes acteur et spectateur? Souvent même auteur, metteur en scène et scénographe de ce théâtre? Quand et comment? Que fait-on de différent, quand on se prépare pour une rencontre intéressante ou décisive, et où l’on imagine de choisir les modes de son comportement ? Et nos souvenirs ? Ne sont-ils pas des représentations de notre propre théâtre personnel? Et nos rêves? Le Théâtre ne cessera jamais d’exister, parce que l’homme ne pourra jamais cesser de vivre sans l’angoisse de sa propre connaissance, sans la nécessité existentielle d’être, à la fois, spectateur de soi et spectateur de ses actions. L’Art du Théâtre se nourrit de ces composants psychiques, et ainsi peut renaître millénaire après millénaire et il continuera d’exister tant que l’Etre humain restera le fruit naturel de l’amour." - Iakovos Kampanellis

"Le théâtre n’est théâtre que dans la mesure où il reflète la vie et son époque. Il n’est théâtre que s’il a appris à connaître l’âme complexe de son public, s’il sait mettre en lumière ses problèmes moraux, s’il sait juger sa conscience et lutter pour ses droits" - Leon Schiller

"Pourquoi luttons-nous pour maintenir un théâtre vivant, à une époque technologique, où nous pouvons tout obtenir sans sortir de chez soi? Ou bien / Est-il nécessaire de maintenir en vie le théâtre en ces temps de télévision, vidéos et CD? En dépit de notre admirable trésor de pièces anciennes et modernes, malgré l’abondance, tout autour de nous, d’acteurs et metteurs en scène de talent, toujours nous avons entendu dire que le théâtre était en crise. Une crise qui semble avoir une double nature : d’un côté, le problème du manque d’argent, et de l’autre, celui de l’utilité du théâtre. Quand ces deux problèmes se manifestent ensemble, les gens commencent à s’inquiéter et s’interrogent sur le rôle et sur la place du théâtre dans la société moderne. Pour répliquer à cela, deux autres questions pourraient se poser. D’abord: à quel moment le théâtre n’a-t-il pas été en crise? Ensuite : puisqu’il est en crise et qu’il l’a toujours été, pourquoi ne l’avons-nous pas abandonné depuis longtemps en tant qu’expression artistique? De toute évidence, les difficultés financières et autres ont poursuivi le théâtre à travers les siècles. Certains de nos plus grands auteurs dramatiques ont eu la chance de partager les recettes des théâtres à succès, mais beaucoup d’autres ont du se battre sans recevoir ni de rétribution ni même, parfois, de reconnaissance. Attirer plus de monde au théâtre a également constitué un problème ; ce qui a mené certaines compagnies à rechercher le succès en offrant au public le spectacle qu’elles pensaient devoir être attendu, à la place du spectacle qu’elles auraient aimé représenter. Alors, malgré tous les problèmes qui accompagnent le fonctionnement de nos théâtres, pourquoi ne les avons-nous jamais abandonnés? Peut-être parce que nous, êtres humains, sommes poussés par instinct à interpréter des rôles et à regarder ceux qui sont interprétés par d’autres? Il y a des choses que nous apprenons par l’expérience, d’autres par l’exemple, et le théâtre est l’art magnifique qui permet cet apprentissage. Regarder les autres passer des épreuves nous révèle mieux la vérité sur nous-mêmes, en tant qu’êtres humains. Le théâtre offre d’innombrables visions de la vie, mais qui ont ceci en commun: nous sommes assis et nous nous engageons dans ce qui pourrait être défini comme une "distance intime". Peu de formes artistiques nous donnent la possibilité d’opérer, à un niveau si profond, un tel mélange du subjectif et de l’objectif, de l’intellectuel et de l’émotionnel. Et il ne s’agit pas seulement de la forme artistique en soi, mais aussi des artistes qui enrichissent cette forme, les artistes avec leur énergie extraordinaire. Certains disent qu’ils le font pour se faire applaudir, et sans doute nous aimons tous être appréciés pour ce que nous faisons bien ; mais les acteurs sont des personnes qui doivent jouer. Ils ont un besoin inné, et un désir – et le courage – de devenir, l’espace d’un moment, quelqu’un d’autre. Les auteurs, les metteurs en scène, les acteurs, sont des artistes qui interprètent le monde dans lequel ils vivent, en y jouant un rôle complexe. Le théâtre et l’arène internationale demandent attention et souci, mais plus encore ils demandent de l’optimisme. Sans optimisme, combiné avec une bonne dose de réalisme, aucun théâtre ne peut survivre. Le théâtre, tel un microcosme de notre société, reflète et parfois réinvente ce que nous faisons dans le monde extérieur. Ici sont peints avec générosité tous les conflits humains, les contradictions, les ambitions et les rêves. Le monde entier est un théâtre, comme l’a dit un auteur dramatique anglais plutôt célèbre, et dans ce théâtre, l’acteur devient le symbole de l’homme avec toutes ses imperfections et ses fragilités, avec tous ses grands espoirs et ses idéaux. Dans la comédie nous voyons les faiblesses et les défauts des autres et les acceptons. Dans la tragédie nous nous voyons nous-mêmes et nous tentons de nous changer (espérons-le...). Ces deux genres nous enseignent quelque chose pour survivre : dans la comédie nous apprenons le compromis, et dans la tragédie nous apprenons ce qu’il arrive quand il n’y a pas de place pour le compromis. Bien sûr, le théâtre doit se mesurer à la concurrence. Qui ne doit pas le faire, aujourd’hui? Dans une société où le cinéma, la télévision et les ordinateurs sont tellement populaires, le théâtre peut-il encore avoir un rôle? La réponse est oui – car quelles que soient les merveilles que ces autres médias nous offrent, il y a une chose qu’ils ne peuvent pas nous donner. Le cinéma, comme chacun le sait, renvoie de la vie une image agrandie. Cela fait partie de sa fonction et de son charme. La télévision et les ordinateurs en revanche, par leurs proportions, compriment un monde d’expériences dans un petit écran et donnent de la vie une image réduite. Mais le théâtre lui, est exactement à la même échelle de la vie, ni plus étendu, ni plus ramassé. Ses thèmes et ses inquiétudes peuvent assumer, certes, de plus vastes dimensions, mais la forme du théâtre elle-même est à l’échelle de la vie, et c’est sous cette forme que nous le recevons. Par conséquent le théâtre suscite des émotions et des plaisirs de nature différente par rapport au cinéma, à la télévision, à l’ordinateur, et son niveau d’engagement est plus profondement humain et plus intime. Souhaitons alors au théâtre vivant une existence longue et prospère et soyons reconnaissants chaque fois que le rideau se lève pour une nouvelle représentation ou pour une reprise, partout dans le monde." - Vigdis Finnbogadóttir

"Quand les hommes ont créé les dieux et commencé à dialoguer avec eux, naquit la première notion du théâtre. Plus tard, les hommes partis à la recherche du bonheur spirituel, ont fait appel au théâtre afin d'aller à la rencontre de la source de la vie. Surgit dès lors le conflit entre fiction et réalité, entre être et non-être, entre vérité et mensonge, entre vivre et représenter, entre lumière et ténèbres. Engagés dans cette lutte paradoxale, ils ont découvert que derrière le mensonge se trouvait la vérité, derrière la mort gisait la vie, derrière la fiction se cachait la réalité et , enfin, derrière cette glace concave et apparemment déformante qu'est le théâtre se trouvait l'image pure de l'homme. Le merveilleux acte d'amour et de passion qu'est le théâtre a eu l'heureuse vertu de découvrir à travers l'homme quelconque l'homme universel, de nous révéler le mécanisme de l'être caché derrière le masque du mensonge, de nous dévoiler l'image cruelle et impitoyable des puissants et la passivité pas toujours résignée des opprimés, et enfin d'historiser les événements les plus significatifs dont l'homme a été le protagoniste. En s'efforçant de bâtir des mondes différents de ceux déjà connus, les hommes ont inventé les utopies et ont donné libre cours aux rêves, mais parfois "les rêves restent des rêves" et au réveil les rideaux de l'imagination tombés, ils se sont retrouvé confrontés à un monde réel aux bienfaits incontestables, mais où l'homme se trouvait piégé dans un filet de réalités terribles et douloureuses. Seules les œuvres qui ont su interpréter leur temps et l'essentiel de l'homme, et su plonger à l'épicentre des secousses sociales, ont pu franchir les barrières du temps, des idéologies et des pensées pour parvenir jusqu'à nous. Elles vivent encore chaque soir sur les scènes mondiales. En revanche, celles restées à la périphérie, qui se sont données aux jongleries intellectuelles, ont été délayées par le temps ou reposent sur les étagères poussiéreuses des bibliothèques. Aujourd'hui, le théâtre semble s'être éloigné de la possibilité d'interpréter notre temps et les tourmentes sociales et humaines que nous subissons aussi bien localement qu'à l'échelle planétaire. Il est clair que le théâtre ne fait pas les révolutions, mais il aide les hommes à les comprendre et à les animer." - Humberto Orsini

"Il me semble que, d'un profond processus d'évolution, est née, désormais, dans le théâtre, une exigence de vérité et d'absolu qui peut le hausser à une valeur de témoignage d'un niveau semblable à celui des grandes époques. Si je pense, en effet, à l'histoire du théâtre dans ce siècle et dans le monde entier, je trouve que, à côté des théories, des poétiques, du développement, de la technologie, ce qui est arrivé au théâtre consiste en ceci : en un premier moment il a paru s'effacer et disparaître devant l'attaque massive des mass-média ; puis, après s'être interrogé sur sa réalité et sa vérité, il a fini par se retrouver lui-même. Il a émergé de son éclipse en retrouvant pleinement sa caractéristique fondamentale qui est d'être le lieu où se confrontent les valeurs et les rapports humains. Les problèmes mêmes du théâtre - sa fragilité, son irréversibilité, cette particularité de la représentation théâtrale de n'être jamais égale à elle-même, le risque de détérioration auquel elle est exposée dès la "première" et qui m'enrage et m'angoisse et, par contraste, me fait songer avec soulagement à la version définitive et immuable du film - tout cela a justement fini par reconfirmer le théâtre (je suis d'accord en cela avec Camus) comme moyen humain par définition. Car s'il enregistre et exprime le changement et l'aspect provisoire de l'homme dans sa vie et son comportement quotidiens, le théâtre, au même moment, stimule en l'homme son aspiration à se dépasser. D'un côté, il montre notre vie dans ce qu'elle a de plus profond, de dangereux, de tragique et de mystérieux ; de l'autre, il en distille l'essence et donne, du mythe et de la légende de l'homme, une représentation chaque fois nouvelle dans un effort toujours nouveau de saisir, à travers la participation, le sens de l'existence. Aujourd'hui, les autres moyens de communication, avec lesquels le théâtre, autrefois et à tort, a cru devoir rivaliser, se sont chargés en grande partie de tout ce qui est divertissement, passe-temps, évasion. Le théâtre en est resté dépouillé et a paru appauvri. Il en a été, au contraire, enrichi. Il a puisé de nouvelles forces. Elagué de ses temps faibles, le théâtre s'est remis - comme j'ai toujours cru que c'était là sa mission - à affronter les grands sujets d'importance vitale. Car, si la découverte et la description de ce qui est exotique, merveilleux, multiple, sociologique, appartiennent désormais à d'autres arts et à d'autres techniques, voici ce qui appartient au théâtre: tout ce que signifie aujourd'hui être vivants ensemble, se réunir dans l'attente d'un événement essentiel, d'une espérance - thérapeutique, salut peut-être, certitude en tout cas d'un rapport essentiel et irréductible entre les hommes - attente aussi d'une mystérieuse transcendance. C'est pour cela que dans le théâtre (devenu, comme l'a dit quelqu'un, catacombe) l'homme descend à la rencontre de lui-même et de son propre destin en mettant à l'essai ses croyances et ses émotions dans un jeu qui a la double puissance de la réalité et de l'imagination. Le théâtre, qui semblait refoulé vers les bords, revient au centre de l'expérience collective. C'est pourquoi le fait d'entrer aujourd'hui dans un théâtre est devenu un acte "différent", signifie un choix, présuppose une attente rationnelle de clarté et d'absolu ; et ce retour à la source collective des émotions et des vérités constitue un acte d'humilité et d'amour." - Luchino Visconti

"Il y a plus de deux mille ans, l'Electre d'Euripide disait: "Comment commencer mon accusation? Comment la terminer? Que mettre en son milieu? "En cette ère de l'euphémisme et de la langue de bois où il est mieux vu de ménager la susceptibilité de tout le monde que de dire les choses comme elles sont, le cri de la fille d'Agamemnon est toujours aussi pertinent. N'est-ce pas le rôle du théâtre? Accuser. Dénoncer. Provoquer. Déranger. Ce ne sont certes pas la mondialisation tant à la mode et dont on nous rebat sans cesse les oreilles, l'universalité à tout prix et la globalisation qui menace de réduire notre monde à la grandeur d'un village où tout est pareil, qui faciliteront le rôle du théâtre dans notre société de plus en plus aseptisée et assujettie aux deux ou trois gros monstres culturels qui ont tendance à tout diriger du haut de leur puissance. A trop vouloir que tout se ressemble, rien ne ressemblera plus à rien. Non, le salut, au début de ce troisième millénaire, viendra plutôt de ces petites voix qui s'élèvent de partout pour décrier l'injustice et, en accord avec les fondations même du théâtre, extraire l'essence de l'être humain, la pressurer, la transposer pour la partager avec le monde entier. Ces petites voix viennent d'Ecosse, d'Irlande, d'Afrique du Sud, du Québec, de Norvège et de la Nouvelle-Zélande, elles font entendre partour leur cri d'indignation, elles ont un parfum parfois local et une coloration précise qui n'ont rien de global, c'est vrai, mais au moins elles sont authentiques! Et elles parlent à tout le monde parce qu'au départ elles s'adressent à quelqu'un, un public particulier, qui peut vibrer en reconnaissant ses émois et ses peines, pleurer sur lui-même et rire de lui-même. Et le monde entier se reconnaîtra si, au point de départ, le portrait esquissé est ressemblant. Car l'universalité d'un texte de théâtre ne se situe pas dans l'endroit où ce texte a été écrit mais dans l'humanité qui s'en dégage, la pertinence de son propos, la beauté de sa structure. On n'est pas plus universel quand on écrit à Paris ou à New York plutôt qu'à Chicoutimi ou à Port-au-Prince. On est plus universel quand, tout en parlant de ce qu'on connaît à un public qui accepte de se voir et de s'autocritiquer, on arrive, par le miracle du théâtre, oui, par la foi qu'on y met, par la sincérité qu'on y investit, à décrire, à chanter l'âme humaine, à en fouiller les arcanes, à en restituer toute la richesse. Tchékov n'est pas universel parce qu'il est Russe mais parce qu'il a le génie de décrire l'âme russe dans laquelle tous les êtres humains peuvent se retrouver. Il en est ainsi de tous les génies, et même des simples "bons" auteurs de théâtre: chaque réplique écrite par un auteur quelque part dans le monde est par définition universelle si elle exprime le cri fondamental d'Electre: "Comment commencer mon accusation? Comment la terminer? Que mettre en son milieu?" - Michel Tremblay

"Le théâtre c'est ce moment dans votre vie où nous les acteurs, sommes chargés de vous révéler la vérité. Une vérité parée d'un manteau resplendissant ou cachée derrière une fausse barbe." - Richard Burton